Le soutien social au travail
Donner une définition du soutien social est parfois considéré comme difficile par certains chercheurs (Heitzmann & Kaplan, 1988 ; O’Reilly, 1988). De plus, les définitions du soutien social fluctuent en fonction du positionnement théorique du chercheur qui l’émet et de son sujet d’investigation (Ruiller, 2008). Curchod-Ruedi et Doudin (2012) en ont tout de même fourni une définition selon laquelle le soutien social est un : « processus par lequel l’individu se sent reconnu, valorisé et relié à un groupe organisé » (p.235). Il convient donc à présent de déterminer les enjeux de l’étude du concept du soutien social.
Le soutien social peut être considéré comme une ressource mobilisable face à des évènements ou situations perturbantes. Plusieurs auteurs se sont intéressés au soutien social comme une ressource. La théorie demande-contrôle de Karasek (1979) considère que le soutien social est une ressource qui permet de faire face à une demande quand les ressources disponibles par l’individu sont trop faibles. Le modèle de conservation des ressources de Hobfoll (1988) théorise également cela. Ces trente dernières années, il s’est imposé comme le modèle de référence. Il définit les ressources comme « toute chose que les individus estiment pour leur valeur intrinsèque, qui sont assimilables à des moyens pour atteindre des buts désirables ou pour protéger d’autres ressources » (Dodeler et al., 2018, p.807-822).
Hobfoll (2001) théorise le fait que les personnes veulent acquérir et maintenir les ressources qui leur semblent nécessaires, ce qui a pour effet de donner lieu à des sensations de bien-être et de satisfaction. Au contraire, les situations ou événements qui ont la possibilité d’engendrer leur perte, qu’elle soit réelle ou perçue, génèrent du stress puisque l’individu cherche à réduire cette perte de ressources (Hobfoll, 1988, 1989, 2001). Hobfoll (2001) décrit donc l’existence de deux principes dans le modèle de la conservation des ressources. Dans le premier principe, il développe le principe de la primauté des pertes. Les pertes auraient une incidence supérieure à celles des gains. Cela explique donc l’engouement plus important des individus à lutter contre les pertes de ressources plutôt qu’à essayer d’en préserver. Pourtant, les gains associés à ses ressources permettent aux individus de se protéger, et leur acquisition grandissante participe à l’enrichissement de la perception de réussite. A l’inverse, une accumulation de perte de ressources peut mener l’individu à un réel épuisement.
Le second principe est celui de l’investissement des ressources et est également développé par Hobfoll (2001). Il place l’individu en action, c’est-à-dire dans une position proactive dans laquelle les évènements et conséquences sur leurs ressources ne sont pas subies. Les individus sont considérés comme auteur de méthodes et stratégies les disposant à agir sur leurs pertes et gains de ressources. De par ces explications, il ressort une importance évidente de leur étude dans le monde du travail. En effet, l’impact positif du soutien social comme ressource a été démontré sur de nombreux phénomènes. Citons pour exemple son rôle de protection contre le stress (Cutrona & Russell, 1990 ; Cohen & Wills, 1985), contre l’épuisement professionnel (Ntsame Sima, 2012) et contre les symptômes dépressifs (Barrera, 1986). Le soutien social apporte aussi sa contribution au développement de l’adaptation et à la promotion de l’estime de soi (Cassady & Lakey, 1990 ; Pierce et al., 1990), et donc, influence clairement le bien-être et la santé (Bruchon-Swheitzer, 2002 ; Cassel, 1976 ; Ntsame Sima, 2012 ; Thoits, 1983).
Hobfoll (1988, 1989) définit quatre types de ressources : matérielles, personnelles, énergétiques, et celles sur lesquelles va porter notre intérêt, les ressources sociales. Ces dernières se réfèrent aux statuts sociaux (statut marital, etc.) et au contexte social (assistance fournie par l’entourage, etc.) dans lequel une personne se développe. Le principe repose sur la considération de l’environnement de vie d’un individu comme fournisseur de dispositions idéales pour vivre de manière satisfaisante tout en évitant les évènements aversifs (Dodeler et al., 2018).
Le soutien social est souvent envisagé comme bénéfique pour l’individu. Précisons néanmoins, ce n’est pas toujours le cas. En effet, il peut parfois être considéré comme menaçant pour l’estime de soi si la personne recevant le soutien se sent redevable et dépendante de sa source de soutien, et donc, devenir une source d’anxiété et d’amenuisement du sentiment d’efficacité personnel (Curchod-Ruedi & Doudin, 2012). D’après les auteurs précédemment cités, l’individu est donc actif. Une considération tridimensionnelle de la notion de soutien social va à présent être présentée, mettant en lumière la capacité d’analyse de ce concept qu’ont les individus. Cela nous amène donc à examiner le concept de soutien social.
Trois dimensions ont donc été dégagées au fil des recherches. Néanmoins, les termes utilisés pour dénommer ces concepts varient en fonction des auteurs (Beauregard & Dumont, 1996).
La première dimension du soutien social, « le réseau de soutien », peut être définie comme un nombre de ressources ; une quantité de personnes ou de relations sociales construites avec autrui, mais également la cadence, la densité et la profondeur de ces relations. Cela pose la question de pouvoir compter ou non sur la personne, avec laquelle les rapports sociaux sont entretenus. (Barrera, 1981 ; Beauregard & Dumont, 1996 ; Brissette et al., 2000 ; Caron & Guay, 2006 ; Ruiller, 2008). Elle est considérée comme la mesure avec laquelle une personne est intégrée socialement ou isolée (Bruchon-Schweitzer, 2002).
Barrera (1981) explique également que le concept de « réseau de soutien » est différent de celui de « réseau social » du fait que certaines relations sociales ne sont pas toujours nécessairement utiles si elles ne sont pas requises en contexte problématique. Pour exemple, les collègues exerçant dans la même structure qu’un individu donné représenteront son réseau social, mais seuls ceux vers qui il se tournera lorsqu’il aura besoin d’aide feront partie de son réseau de soutien. Cela est précisé par Vaux (1988) qui considère le réseau de soutien comme une sous-partie du réseau social.
Brissette et ses collaborateurs (2000), quant à eux, identifient que cette notion de réseau de soutien inclut celle de l’intégration sociale. Cette dernière est définie par ces mêmes auteurs comme « la base objective en termes de nombre de personnes ou de soutien potentiel offert à un individu, compte tenu de son environnement » (p.53-85). Néanmoins, certains auteurs relèvent des zones de flous dans la définition de la notion de « réseau social ». En effet, les liens créés avec une personne peuvent reposer uniquement sur des échanges de ressources ou être effectifs uniquement du fait du rôle de l’interlocuteur, et non d’aspect affectif, comme un sentiment de confiance (Caron & Guay, 2006).
La notion de « comportements de soutien » peut être considérée comme la seconde composante du soutien social. Ces comportements représentent des actions concrètement réalisées par les personnes qui apportent leur soutien à un individu, exprimées de façon significativement perceptible. Il représente donc l’emploi effectif du réseau de soutien social (Barrera, 1986 ; Beauregard & Dumont, 1996 ; Tardy, 1985). Plus récemment, Hartmann (2007) définit ce même concept comme étant un ensemble d’actions d’aide incontestablement reconnues comme telles, qu’elles soient spontanées ou demandées. D’autres auteurs comme Pierce et ses collaborateurs (1996) utilisent, quant à eux, le terme de « relations de soutien ».
En outre, notons que les manières d’exprimer des comportements de soutien sont multiples : écoute, réconfort, prêt d’argent, aide à la réalisation d’une tâche, partage de conseils, etc. (Ruiller, 2008). Cependant, la distinction entre ces deux précédentes dimensions, réseau de soutien et soutien reçu, ne semble pas suffire à définir le soutien social sous toutes ses facettes. A ce sujet, Frankel et ses collaborateurs (1983) déclarent que la définition du soutien social, contenant uniquement ces deux notions, est limitée et ne prend pas en compte ce qu’il en est réellement perçu. En effet, le soutien social reçu n’est pas nécessairement reconnu par un individu comme une aide. Frankel et ses collaborateurs (1983) certifient que « le support social doit être considéré comme une expérience personnelle plutôt que comme un ensemble de circonstances objectives ou même comme un ensemble de processus interactionnels » (p.67-111).
Cela introduit donc la troisième dimension identifiée pour parler du soutien social : « le soutien social perçu ». Schwarzer et ses collaborateurs (2003) le distinguent du soutien social reçu grâce à une perspective temporelle. En effet, il estime que le soutien social perçu s’inscrit dans une dynamique prospective, contrairement au soutien social reçu qui est nécessairement rétrospectif. Il explique cela par le fait que le soutien perçu se fonde sur l’aide supputée si un besoin se fait ressentir, alors que le soutien reçu se base sur l’aide apportée sur un laps de temps défini. Pour d’autres auteurs, le soutien social perçu désigne l’appréciation ou l’évaluation subjective et cognitive du soutien social émis par autrui et reçu par une personne (Barrera, 1981 ; Barrera, 1986 ; Beauregard & Dumont, 1996 ; Ruiller, 2008), c’est-à-dire, la manière d’accueillir l’aide d’autrui (Gentry & Kobasa, 1984). Heller et Procidano (1983) précisent qu’il représente à la fois la mesure de l’aide fournie par l’entourage d’une personne, mais également à quel point elle juge ses attentes et besoins comblés. Par ailleurs, le soutien social perçu est appréhendé par Bruchon-Schweitzer (2002) comme une propriété non objective qu’a une personne d’apprécier ses relations sociales, c’est-à-dire d’évaluer son accommodement entre sa personne et son environnement.
En outre, le concept de soutien social perçu, composante du soutien social, peut lui-même être subdivisé en deux nouvelles entités : la disponibilité perçue du soutien et la satisfaction perçue de ce même soutien. La disponibilité réfère au fait d’estimer certains individus de l’environnement de vie comme potentiel pourvoyeur d’assistance dans l’éventualité où le besoin s’en ferait sentir (Bruchon-Schweiter, 2002 ; Ruiller, 2008). La satisfaction correspond au fait d’estimer à quel point le soutien reçu est efficace. Elle correspond, en somme, à une évaluation de la qualité de relations interpersonnelles (Albert et al., 2015 ; Gentry & Kobasa, 1984). Ce n’est donc pas une estimation reposant sur un nombre de rapports sociaux mais bien une analyse qualitative du soutien social (Ruiller, 2008). Parler de concept tridimensionnel nous amène donc à nommer le réseau de soutien, les comportements de soutien, et le soutien social perçu. Cela implique également de mettre en lumière les différents types de soutien social pouvant exister.
Les sources de soutien social désignent les multiples personnes qui fournissent leur aide et la place qu’elles occupent dans leur environnement de vie. Ces sources sont dépendantes du contexte (Ruiller, 2008). Dans un environnement de vie privée, les conjoints, la famille et les amis sont considérés comme des sources informelles de soutien social. En contexte organisationnel, les sources de soutien social sont appelées « formelles ». Elles sont incarnées, à la fois par les supérieurs dans l’organisation du travail en question qui s’envisagent comme des relations verticales, ainsi que par les collègues qui relèvent des relations horizontales (Albert et al., 2015 ; Franklin & Streeter, 1992 ; Hall & Johnson, 1998 ; Paillé & Pohl, 2008 ; Pinneau, 1976). Certains auteurs précisent qu’il est important de distinguer différents niveaux de hiérarchie (Albert et al., 2015). Eisenberger et ses collaborateurs (1986) ainsi que Pinneau (1976) expliquent que les supérieurs directs sont enclins à être considérés comme des pourvoyeurs de soutien importants.
L’étude du soutien social appelle généralement a mobiliser les sources et les types de soutien. Concernant les sources de soutien, qu’elles soient formelles ou informelles, elles semblent avoir un impact sur les relations de travail. Les travaux de Dodeler et ses collaborateurs (2015) montrent en effet l’impact positif du soutien social informel sur le développement de troubles psychologiques traumatiques et anxieux. Quant aux types de soutien, traduites par les différentes interventions d’autrui en contexte professionnel, ils peuvent prendre des formes d’aide précieuse pour tout individu. Les types et sources de soutien social constituent tous les deux des formes de soutien attendus de la part de la personne qui les reçoit. Ces concepts sont donc tous deux dignes d’intérêt. Néanmoins, la présente étude se focalisera sur la considération des différentes sources de soutien social. La demande de la structure a guidé ce choix. En effet, les problématiques relevées par le commanditaire de cette étude se centrent sur des difficultés induites au niveau de la capacité à fournir du soutien. Il s’agit donc de s’intéresser aux personnes qui fournissent du soutien plutôt qu’à la forme que cette aide pourrait prendre. La mise en exergue de l’opérationnalisation du soutien conduit maintenant à expliciter le concept de « qualité des relations » qui est la variable à expliquer dans notre étude.