La qualité des relations professionnelles
Certains définissent l’évaluation de la qualité des relations professionnelles par la corrélation de plusieurs caractéristiques à un prototype (Horowitz et al., 1981; Perry, 1994). Chaque prototype est qualifié par des caractéristiques représentant au mieux ses membres et évinçant ceux n’en faisant pas partie. Un prototype est donc un point de référence cognitif. La qualité de la relation sociale s’appréhende donc via la proximité entre une relation vécue et le prototype qu’a une personne d’une bonne relation. De ce fait, plus les relations réelles des individus sont proches de leurs connaissances stockées et référent à une bonne relation, plus ils en seront satisfaits (Hassebrauck, 1997 ; Aron & Hassebrauck, 2001).
Il est possible de distinguer l’évaluation de la qualité de la relation verticale et horizontale. Rosch (1978) décrit la perceptive verticale comme celle se rapportant aux relations cultivées avec des supérieurs ou des subordonnés hiérarchiques. La dimension horizontale se référerait donc à l’évaluation de la qualité des relations entre personnes de même statut hiérarchique. Il n’est donc pas difficile d’imaginer l’impact qu’a un prototype sur les relations entretenues par un individu. De nombreux auteurs tels que Mai et ses collaborateurs (1991) explorent leurs impacts sur le bien-être physique et émotionnel. Cela explique le caractère très personnel du jugement de la qualité des relations professionnelles. Il existe également d’autres théories et modèles considérés comme déterminants dans l’étude de la qualité des relations professionnelles que nous allons expliciter dans les parties qui suivent.
Homans déclare, en 1961, que les échanges d’activités, entre deux individus, qu’ils soient matériels ou non et avantageux ou non, représente un mécanisme d’association sociale. De cela est inspirée la théorie de l’échange social développée par Blaud (1964). Un échange social est caractérisé par la dimension volontaire des actions réalisées par une personne, par sa motivation à recevoir une gratification d’autrui et par sa recherche de longévité dans les relations d’échange (Blaud, 1964).
Faisant suite à ce cheminement, la théorie du rôle (Kahn & Katz, 1966) explique comment les rôles tenus en société et les attentes y étant liées influent sur les attitudes et comportements des individus. Cette théorie suggère que le statut social et l’identité d’une personne caractérisent son comportement (Biddle, 1986). Le contexte social détermine donc les rôles sociaux joués par les individus (Chen, 2018). La création de ces rôles peut se faire au sein d’une dyade. Les dyades formées dans le cadre d’une organisation hiérarchique entre un supérieur hiérarchique et un subordonné s’inscrivent dans ce cadre (Graen, 1976). Le concept même de dyade exprime le caractère unique de la relation qui lie un leader à chacun de ses subordonnés. Un même leader est donc représenté par autant de qualités de relations qu’il n’a de subordonné avec qui en entretenir (Graen & Uhl-Bien, 1995). Ces concepts exposés dans la théorie du rôle ont ensuite été utilisés pour développer différents modèles que nous allons expliquer dans la suite de notre écrit. Les dyades formées par un supérieur hiérarchique et l’un de ses subordonnés et explicitées dans la théorie du rôle ont été conceptualisées sous forme de modèle que nous allons à présent développer.
Deux individus engagés dans un échange social sont donc en attente d’un comportement particulier de leur interlocuteur. Le modèle LMX qui découle des réflexions théoriques exprimées ci-dessus conceptualise les relations échangées entre un supérieur hiérarchique et l’un de ses agents. Ces dernières années, de nombreux travaux ont été réalisés sur la relation supérieur-subordonné. Cela a donc amené le concept à évoluer au fil des découvertes. Plusieurs types de définitions ont donc pu lui être données. De nos jours, un certain consensus semble émerger. Yukl (2002) caractérise le LMX comme : « le processus de définition des rôles entre un leader et son subordonné, et la relation d'échange qui se développe au fil du temps ».
Pour d’autres auteurs, la qualité de la relation entre leader et membre peut être considérée comme une relation d'emploi caractérisée par des efforts mentaux et physiques, des ressources matérielles, de l'information, et/ou du soutien émotionnel échangé entre le supérieur et son subordonné (Liden et al., 1997). Il doit donc y avoir un échange équitable et juste de la part de chacune des deux parties (supérieur et subordonné) (Graen & Scandura, 1987) L’échange de ressources est donc au cœur de la relation entre un supérieur et ses subordonnés (Buunk et al., 1998 ; Cole et al., 2002). La relation entre un supérieur et son subordonné s’établit à partir des comportements et caractéristiques individuels de chaque personne lors de leurs rencontres. Celles-ci conditionneront le lien qui sera créé (Bauer & Green, 1996).
En outre, certaines études ont montré l’impact du soutien social perçu sur la relation supérieur-subordonné. Certains auteurs ont prouvé que des relations de hautes qualités étaient caractérisées par un haut niveau de respect et de confiance, ainsi qu’un large partage d’effort, de soutien et de ressources comme des biens matériels et immatériels (Liden & Maslyn, 1998). A l’inverse, une qualité pauvre de relation se reflète par des interactions cantonnées à celles souhaitées dans le contrat de travail, c’est-à-dire, une relation exclusivement économique (Choinière, 2020). Ces dernières sont reconnaissables de par un manque de confiance, une mise en avant des écarts de pouvoir et une surveillance importante des performances (Chandler & Fairhurst, 1989 ; Dienesch & Liden, 1986). La relation entre un superviseur et ses subordonnés est souvent perçue comme la principale créatrice de rôle. Néanmoins, les études ont montré qu’un autre type de relation pouvait également en être la clé (Seers, 1989)
L’étude des relations entre un supérieur et ses subordonnés est considérée comme expliquant significativement le jugement de la qualité de celles-ci (Seers, 1989). Néanmoins, il a été prouvé que, pour certaines populations d’étude, le modèle LMX ne suffit pas. Gobdel et Vecchio (1984) montrent sa difficulté à représenter des statuts organisationnels inférieurs. Le concept d’échange équipe-membre (TMX) est donc formulé. TMX a donc été créé dans le but d’être analogue au LMX, il ajoute donc de la prédiction au LMX.
Ces deux modèles (LMX et TMX) ont la même approche du fait qu’ils se basent, tous deux, sur une description de la qualité d’une relation d’échange de rôle. Néanmoins, pour LMX, la relation est dyadique, c’est le superviseur qui apporte les éléments pour permettre un échange, tandis que pour TMX, il s’agit d’un échange entre les membres du groupe ou d’une relation entre un individu et son groupe de pairs, dans lequel il est identifié comme membre. Cette notion de réciprocité de l’échange variera en fonction des besoins et des intérêts des membres du groupe. En somme, le TMX peut être défini comme la perception individuelle de la qualité des échanges qu’un individu lors de ses interactions avec les membres de son équipe de travail (Seers, 1989). Le modèle d’échange équipe-membre prend donc en considération la volonté de partager son avis et ses idées, sa détermination à apporter son aide, ainsi que la reconnaissance qu’il a envers les autres membres de recevoir cela. Cela montre que le soutien social fait partie des éléments déterminants d’une bonne relation (Seers, 1989 ; Cashman et al., 1995). Il convient à présent d’expliquer l’impact d’une relation de bonne qualité sur l’individu au travail.
L’importance de l’étude de la qualité des relations professionnelles se retrouve dans le nombre d’auteurs s’y intéressant. Baumeister et Leary (1995), par exemple, ont déclaré que des relations de haute qualité influencent positivement le bien-être mental et physique des individus. A l’inverse, ils estiment que de mauvaises relations engendrent du stress et impactent la santé des individus. Dagenais-Desmarais et Privé (2010), quant à elles, considèrent la qualité des relations au travail comme un des éléments fondateurs du bien-être psychologique des individus au travail.
Plus spécifiquement, la qualité de la relation professionnelle s’est révélée jouer sur la satisfaction au travail (Stringer, 2006). Elle permet également aux individus d’être plus engagés dans certains comportements comme celui de la détection des erreurs, dus à une plus libre expression (Choi, 2006 ; Edmondson, 1996 ; Roberts & Weick, 1993), ou celui de la coordination (Gittell, 2003). Une haute qualité de la relation accompagne donc l’atteinte des objectifs d’une structure. En effet, les personnes engagées dans de bonnes relations interpersonnelles échangent entre elles. Cela les rend donc plus enclins à solutionner des problèmes, à trouver de nouvelles méthodes de travail ou à améliorer l’obtention de leurs résultats. Il en ressort donc un sentiment valorisant pour les individus qui leur permet de franchir des jugements délétères comme l’incertitude (Brueller, et al, 2009 ; Lewin & Regine, 2000).
La qualité de la relation professionnelle a donc un rôle dans la relation qui est développée entre des salariés et leurs supérieurs. Eisenberger et Rhoades (2002) ont en effet prouvé que plus cette relation est bonne, plus le processus de personnification des collaborateurs prend de l’ampleur. Une relation de haute qualité entre subordonné et supérieur hiérarchique permet également d’améliorer les performances (Duchon et al., 1992 ; Bommer et al., 2002). Du point de vue des modèles LMX et TMX, les performances au travail et la satisfaction sont influencées par la qualité des relations entre supérieurs et subordonnés (Graen et al., 1982). De plus, des relations de bonnes qualités entre les membres d’une même équipe augmentent les performances et la satisfaction au travail (Seers, 1989).